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les antinomies entre l’individu et la société

enviée, presque la plus agressive. Car la beauté sous toutes ses formes, beauté sexuelle, beauté artistique, beauté comme manifestation de vie, d’énergie et de force, est un principe de division, d’inégalité, de rivalité et de discorde. Par là elle contredit les idées proprement morales d’égalité, de justice, d’unité morale, de fusion des âmes, de renoncement à la personnalité.

Ajoutons à cela, dans l’idée de beauté, un élément de subjectivisme et d’illusion par où elle alarme les croyants en une vérité morale objective et impérative. La beauté est une création de l’imagination humaine : elle est un mensonge charmant, une illusion enchanteresse. Elle substitue au monde réel et à la vie pratique où nous devons déployer notre activité utile et remplir notre tâche d’êtres moraux, une image de rêve, un mirage qui nous abuse et nous égare. La beauté est un opium moral ; elle est un principe d’ivresse, c’est-à-dire de jouissance égoïste. Elle détourne les hommes de l’action vers la contemplation ; elle les enlève au service de la sociabilité. Anathème donc à la beauté séductrice ; à la maîtresse trop séduisante qui éloigne l’époux de l’épouse légitime.

L’idée de beauté renferme enfin un élément de fantaisie, de liberté individuelle intolérable aux moralistes. Elle représente la liberté de la passion : l’apothéose de la joie de vivre. Représenter la