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l’antinomie esthétique

rale ? Parce que l’idée de beauté renferme, qu’on le veuille ou non, un élément de jouissance égoïste ; un élément de distinction et de suprématie égoïste, une volonté d’individuation et d’inégalité, un germe d’orgueil et un ferment de discorde.

La beauté est un objet de volupté égoïste. En effet, toute beauté est sensible et, dans une certaine mesure, sensuelle et charnelle. Elle parle aux sens. Certains esthéticiens ne rattachent-ils pas toute idée de beauté à l’idée de la beauté de la femme et à la jouissance sexuelle ? Stendhal n’a-t-il pas défini en ce sens la beauté : une promesse de bonheur ?

La beauté est un principe de suprématie égoïste. En effet l’idée de beauté est une idée aristocratique. La beauté correspond à une supériorité de force, de vie, de puissance ; elle procède d’un désir de se distinguer et d’être distingué[1]. La beauté est la différence humaine, l’exception humaine sous sa forme la plus voyante, la plus glorieuse, la plus

  1. Voir sur cette conception de la beauté le livre de M. L. Bray : Du beau. Essai sur l’origine et l’évolution du sentiment esthétique (F. Alcan). Voir aussi Nietzsche : Par delà le Bien et le Mal et surtout la partie de la Volonté de Puissance où Nietzsche expose sa physiologie de l’art. D’après Nietzsche, la beauté est le signe auquel se reconnaissent les nobles exemplaires humains, à un degré supérieur ces « superbes plantes tropicales… ces êtres d’élite qui pourront s’élever jusqu’à une tâche plus noble et jusqu’à une existence plus noble, semblables à cette plante grimpante d’Asie, ivre de soleil — on la nomme Sipo-matador — qui enserre un chêne de ses lianes multiples, tant qu’enfin, bien au-dessus de lui, mais appuyée sur ses branches, elle puisse développer sa couronne dans l’air libre, étalant son bonheur aux regards de tous ». (Par delà le Bien et le Mal.)