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l’antinomie dans l’activité volontaire

à la société actuelle au nom d’un idéal supérieur de sociabilité.

Toutefois l’antinomie entre l’individu et la société, entre la personnalité et la sociabilité ne disparaît pas. Même chez l’homme supérieur, le créateur de valeurs, le héros, il faut tenir compte du conflit qui divise et oppose en chacun de nous les deux éléments de notre nature : le moi et le nous, l’égoïsme et l’altruisme, la personnalité dans ce qu’elle a d’entier, d’indépendant et d’intransigeant et la sociabilité qui réclame des concessions incessantes de la part de l’individu.

Le conducteur d’hommes, l’homme qui détient l’autorité ou qui aspire à l’autorité ne peut réussir dans sa mission qu’en sacrifiant une bonne part de sa personnalité ; qu’en renonçant à bien des désirs d’indépendance, à bien des velléités de révolte. Commander comme obéir exige une perpétuelle abnégation, un véritable oubli de soi. Il ne faut pas croire que l’autorité dispense d’obéir ni même qu’elle diffère de l’obéissance autant qu’il peut sembler au premier abord. Celui qui commande doit tenir grand compte des volontés, des désirs conscients ou inconscients de ceux qu’il veut diriger. La somme de pouvoir personnel éparse dans le monde est très petite.

Cette idée se trouve ingénieusement exprimée dans une anecdote racontée par le comte de Gobineau. La reine Victoria, voyageant sur une côte d’Afrique,