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morales ; leur action très limitée sinon même tout à fait nulle sur la conduite et sur la vie.

Il semble bien d’ailleurs que, dans la pensée des immoralistes qu’on vient d’étudier, il s’agisse uniquement de la morale enseignée, de la morale plus ou moins codifiée et formulée, de la morale courante et respirée dans l’ambiance, de la morale qui a pour elle l’approbation du genre humain ou d’une fraction plus ou moins importante du genre humain. Il semble bien que par la force des choses, l’instinct, le sentiment, dans ce qu’ils ont de spontané, soient hors de cause et qu’ils gardent aux yeux même de l’immoraliste leurs droits imprescriptibles comme guides de l’homme intérieur.

Quelle est maintenant l’idée qui domine l’immoralisme ? Il semble bien que ce soit ce qu’on pourrait appeler l’idée irrationaliste. C’est l’idée et le sentiment que la vie dépasse infiniment en richesse, en variété et en imprévu les codifications de notre morale. Ce qui fait la faiblesse de cette morale, ce qui fait qu’elle a si peu de pouvoir sur la marche de la vie, c’est que nous connaissons trop mal le monde pour affirmer que notre ordre moral est nécessaire à sa bonne marche et pour être sûr que la vie serait moins riche et moins belle si l’on admettait comme permis ce qui est défendu aujourd’hui. C’est, comme le dit un personnage du roman de Bojer, que « la vie est plus large que toutes les lois humaines du juste et de l’injuste ». Aucune formule morale n’enserre cette vie insaisissable, pareille à l’eau de la source