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« La société, dit Benjamin Constant, est trop puissante, elle se reproduit sous trop de formes, elle mêle trop d’amertume à l’amour qu’elle n’a pas sanctionné… » Et ailleurs : « L’étonnement de la première jeunesse à l’aspect d’une société si factice et si travaillée annonce plutôt un cœur naturel qu’un esprit méchant. Cette société d’ailleurs n’a rien à en craindre. Elle pèse tellement sur nous ; son influence sourde est tellement puissante qu’elle ne tarde pas à nous façonner d’après le moule universel. Nous ne sommes plus surpris alors que de notre ancienne surprise, et nous nous trouvons bien sous notre nouvelle forme, comme l’on finit par respirer librement dans un spectacle encombré par la foule, tandis qu’en entrant on n’y respirait qu’avec effort… Si quelques-uns échappent à la destinée générale, ils enferment en eux-mêmes leur dissentiment secret ; ils aperçoivent dans la plupart des ridicules le germe des vices ; ils n’en plaisantent plus, parce que le mépris remplace la moquerie et que le mépris est silencieux[1]. » L’espagnolisme de Stendhal se hérisse devant les vulgarités et les hypocrisies de son petit milieu bourgeois de Grenoble[2]. Un peu plus tard, à Paris, chez les Daru, il exprime la même horripilation : « C’est dans cette salle à manger que j’ai cruellement souffert, en recevant cette éducation des autres à laquelle mes parents m’avaient si judicieusement soustrait… Le genre poli, cérémonieux, encore aujourd’hui, me glace et

  1. Benjamin Constant, Adolphe.
  2. Vie de Henri Brulard, p. 177, 179.