Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mondes. Mais, pour nous autres hommes, ces lointains accords sont comme s’ils n’étaient pas. L’ouragan qui souffle sur nos plages peut faire à merveille dans une harmonie plus haute ; mais le grain de sable qui tournoie, s’il a la pensée, doit croire au chaos… Les destinées des hommes ne répondent point à leur énergie d’âme. Au fond, cette énergie est tout dans chacun ; rien ne se fait ou ne se tente sans elle ; mais entre elle et le développement où elle aspire, il y a l’intervalle aride, le règne des choses, le hasard des lieux et des rencontres. S’il est un effet général que l’humanité en masse doive accomplir par rapport à l’ensemble de la loi éternelle, je m’en inquiète peu. Les individus ignorent quel est cet effet : ils y concourent à l’aveugle, l’un en tombant comme l’autre en marchant. Nul ne peut dire qu’il ait plus fait que son voisin pour y aider. Il y a une telle infinité d’individus et de coups de dés humains qui conviennent à ce but en se compensant diversement, que la fin s’accomplit sous toutes les contradictions apparentes ; le phénomène ment perpétuellement à la loi ; le monde va et l’homme pâtit ; l’espèce chemine et les individus sont broyés[1]. »

Cette façon énergique d’opposer la destinée de l’ensemble à la destinée des individus contient en germe tout le pessimisme et tout l’ironisme social.

On le voit, la philosophie de l’ironie se résout en

  1. Sainte-Beuve, Volupté, p. 74-75.