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sans avoir pris le temps même de se regarder. Il faut qu’ils aiment, pour n’être plus seuls ; qu’ils aiment d’amitié, de tendresse, mais qu’ils aiment pour toujours… Et de cette hâte à s’unir naissent tant de méprises, d’erreurs et de drames. Ainsi que nous restons seuls, malgré tous nos efforts, de même nous restons libres malgré toutes les étreintes[1]. » — Comment le philosophe ne verra-t-il pas un nouveau thème d’ironie dans la bataille que se livrent en nous l’instinct de sociabilité et l’instinct d’égotisme, et dans le misérable et précaire compromis qui s’institue entre eux et qui constitue la trame de notre vie ?

De quelque côté qu’on se tourne, on reconnaît que la muse des contrastes est le véritable musagète de l’ironie. Une intelligence ironiste n’est jamais une intelligence simpliste. Elle est forcément une intelligence dualiste, bilatérale, dominée par cette Doppelgängerei dont parle Amiel. Elle pose des thèses et des antithèses autour desquelles se joue le génie énigmatique de l’ironie. Elle déplace à volonté son centre de gravité et par là même son centre de perspective. C’est pourquoi l’ironie est légère et ailée comme la fantaisie.

On voit à présent quel est le principe métaphysique de l’ironie. Il réside dans les contradictions de notre nature et aussi dans les contradictions de

  1. Guy de Maupassant, Sur l’eau, p. 181.