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en tant qu’êtres pensants, la défaite de la pensée, de la raison, nous est pénible. Nous ne pouvons, quoique nous en ayons, nous dépouiller de notre raison, et nous ne pouvons, sans inquiétude et sans souffrance, la voir convaincue de fausseté et de myopie. De plus, notre raison est, par essence, optimiste : naïvement optimiste, confiante en elle-même et dans la vie. Il nous est cruel de voir cet optimisme brutalement démenti par les argumenta basculina de l’expérience ; et c’est là la source de l’élément d’inquiétude et de tristesse qui entre dans l’ironie, dans celle du moins qui s’applique à nous-mêmes et à notre propre sort. — Ajoutons que la raison n’a pas seulement un usage théorique ; elle a un usage pratique ; elle nous sert d’arme dans la lutte pour la vie, et il est inquiétant pour nous de reconnaître que cette arme est d’une mauvaise trempe et sujette à se fausser. — On voit que la source de l’ironie est, comme celle du rire, dans cette dualité de notre nature. Elle provient de ce que nous sommes à la fois des êtres intuitifs qui sentent et des êtres intelligents qui raisonnent. Nous prenons pied alternativement et suivant l’heure, dans chacune de ces deux parties de notre nature, ce qui nous invite alternativement et suivant le point de vue à fêter la défaite de notre raison (comme dans le rire) ou de contempler cette défaite avec angoisse (comme dans l’ironie). Car, au fond, quand nous fêtons la défaite de la raison, c’est la défaite de nous-mêmes que nous fêtons. Et c’est pourquoi l’ironie, qui est proche parente de la tris-