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et se combattent. La société a toujours eu une tendance à réglementer l’amour et à surveiller l’amitié. L’esprit social ou grégaire ne tolère pas les affections privées qu’autant qu’elles se subordonnent à lui. Il lui semble que l’individu dérobe quelque chose à la société quand il trouve sa force et sa joie dans un sentiment qui échappe à la réglementation sociale. Il lui semble qu’il y a là un égoïsme condamnable, un vol fait à la société.

Voyez les gens imbus de l’esprit de corps, de clan, de groupe. Leurs amitiés, si on peut parler ici d’amitié, ne sont qu’un aspect et une dépendance de l’esprit de corps. Il y a ici camaraderie, relations de collègue à collègue, et c’est tout. Tant que l’homme dont ils se disent l’ami est bien vu dans le groupe, tant qu’il ne commet rien contre la discipline ou l’étiquette du groupe, les bonnes relations se maintiennent. Mais supposez qu’une circonstance place leur ami en conflit avec le groupe ; supposez qu’une de ses paroles ou un de ses actes ait choqué d’une manière ostensible le code admis par la société ; aussitôt c’en est fait de l’amitié. Un roman récent[1], d’ailleurs sans grande valeur psychologique, donne une intéressante peinture de la camaraderie qui règne dans un corps et qui non seulement diffère de l’amitié, mais encore étouffe toute véritable amitié. C’est, dit l’auteur, « un état d’isolement réel, entouré d’hommes avec lesquels les relations ne doivent

  1. Bilse, Petite garnison.