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grégaires : la politesse et les belles manières, qui ne sont, suivant la remarque du même philosophe, qu’un compromis entre le besoin de sociabilité et la défiance naturelle à des êtres qui ont de si nombreuses qualités repoussantes et insupportables.

L’amitié, sentiment individualiste, est par là même un sentiment électif et aristocratique :

Je veux qu’on me distingue, et pour le trancher net
L’ami du genre humain n’est pas du tout mon fait.


dit Alceste à Philinte qui aime tous les hommes et qui est l’être sociable par excellence. Au contraire l’âme discrète, haute et réservée d’Alceste est faite pour comprendre la véritable amitié.

Élective et aristocratique, l’amitié est un sentiment de luxe. Elle demande des âmes d’une trempe spéciale, d’un métal particulièrement robuste, délicat et vibrant. Dans une civilisation avancée, elle requiert peut-être, pour prendre son plein épanouissement, une culture supérieure de l’intelligence et de la sensibilité. M. de Roberty regarde avec raison l’amitié comme un art[1]. L’amitié est en effet, comme l’art, un luxe ; comme l’art aussi elle implique un choix ; elle distingue son objet et veut aussi être distinguée. Or le plaisir de se distinguer ou d’être distingué est au fond de toute beauté et de toute manifestation de la beauté. La politesse, ce que Schopenhauer appelle les « belles manières » sont

  1. Voir le Nouveau programme de Sociologie, Paris, Félix Alcan, 1904, p. 117 et 199.