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même chez Vigny, un élément immoraliste subsiste : une tendance à désidéaliser la société, à disjoindre et à opposer les deux termes : société et moralité, et à regarder la société comme une génératrice fatale de lâcheté, d’inintelligence et d’hypocrisie. « Cinq-Mars Stello, Servitude et Grandeur militaires sont les chants d’une sorte de poème épique sur la désillusion ; mais ce ne sera que des choses sociales et fausses que je ferai perdre et que je foulerai aux pieds les illusions ; j’élèverai sur ces débris, sur cette poussière, la sainte beauté de l’enthousiasme, de l’amour, de l’honneur[1]… » Il va sans dire que chez un Stirner, un Stendhal, l’individualisme est immoraliste sans scrupule ni réserve. — L’anarchisme est imbu d’un moralisme assez grossier. La morale anarchiste, pour être sans obligation ni sanction, n’en est pas moins une morale. C’est au fond la morale chrétienne, abstraction faite de l’élément pessimiste que renferme cette dernière. L’anarchiste suppose que les vertus nécessaires à l’harmonie sociale fleuriront d’elles-mêmes. Ennemie de la coercition, la doctrine accorde la faculté de puiser dans les magasins généraux aux paresseux eux-mêmes. Mais l’anarchiste est persuadé que, dans la cité future, des paresseux seront très rares ou même qu’il n’y en aura pas.

Optimiste et idéaliste, imbu d’humanisme et de

  1. Journal d’un poète, p. 17.