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représente la plus complète désidéalisation de la nature et de la vie, la plus radicale philosophie du désabusement qui ait paru depuis l’Ecclésiaste.

Pessimiste sans mesure ni réserve, l’individualisme est absolument antisocial, à la différence de l’anarchisme, qui ne l’est que relativement (par rapport à la société actuelle).

L’anarchisme admet bien une antinomie entre l’individu et l’État, antinomie qu’il résout par la suppression de l’État ; mais il ne voit aucune antinomie foncière, irréductible, entre l’individu et la société. L’anarchisme, s’il anathémise l’État, absout et divinise presque la société. C’est que la société représente à ses yeux une croissance spontanée (Spencer), tandis que l’État est une organisation artificielle et autoritaire[1]. Aux yeux de l’individualiste, la société est tout aussi tyrannique, sinon davantage, que l’État. La société, en effet, n’est autre chose que l’ensemble des liens sociaux de tout genre (opinion, mœurs, usages, convenances, surveillance mutuelle, espionnage plus ou moins discret de la conduite des autres, approbations et désapprobations morales, etc). La société ainsi entendue constitue un tissu serré de tyrannies petites et grandes, exigeantes, inévitables, incessantes, harcelantes et impitoyables, qui pénètrent dans les détails de la vie individuelle bien plus profondément et plus continûment que ne peut le faire la contrainte étatiste. D’ailleurs, si l’on

  1. Voir aussi, sur ce point, Bakounine, Fédéralisme, socialisme et antithéologisme, p. 285 et suiv.