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accents d’âpre révolte ou de pessimisme découragé, l’individualisme reste un sentiment de « l’impossibilité qu’il y a d’accorder le moi particulier avec le moi général[1]. » C’est une volonté de dégager le premier moi, de le cultiver dans ce qu’il peut avoir de plus spécial, de plus poussé et fouillé dans le détail et en profondeur. « L’individualiste, dit M. Barrès, est celui qui, par orgueil de son vrai moi, qu’il ne parvient pas à dégager, meurtrit, souille et renie sans trêve ce qu’il a de commun avec la masse des hommes… La dignité des hommes de notre race est attachée exclusivement à certains frissons, que le monde ne connaît ni ne peut voir et qu’il nous faut multiplier en nous[2]. »

Chez tous, l’individualisme est une attitude de sensibilité qui va de l’hostilité et de la défiance à l’indifférence et au dédain vis-à-vis de la société organisée où nous sommes contraints de vivre, vis-à-vis de ses règles uniformisantes, de ses redites monotones et de ses contraintes assujettissantes. C’est un désir de lui échapper et de se retirer en soi, φυγη μονου προς μονον. C’est par-dessus tout le sentiment profond de « l’unicité du moi », de ce que le moi garde malgré tout d’incompressible et d’impénétrable aux influences sociales. C’est, comme dit M. Tarde, le sentiment de « la singularité profonde et fugitive des personnes, de leur manière d’être, de penser, de sentir, qui n’est qu’une fois et qui n’est qu’un instant[3] ».

  1. M. Barrès, Un Homme libre.
  2. Ibid., p. 100.
  3. Tarde, les Lois de l’imitation, sub fine (F. Alcan).