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ment de révolte impuissante contre les conditions sociales où le sort l’a jeté remplit les imprécations romantiques de M. de Couaen. Le testament de M. de Camors exhale le découragement d’un vaincu. Les « Fils de Roi », de M. de Gobineau, dans le roman des Pléiades, déclarent la guerre à la société ; mais ils sentent eux-mêmes qu’ils ont affaire à trop forte partie et que le nombre imbécile les écrasera[1]. Vigny dit encore : « Le désert, hélas ! c’est toi, démocratie égalitaire, c’est toi, qui a tout enseveli et pâli sous tes petits grains de sable amoncelés. Ton ennuyeux niveau a tout enseveli et tout rasé. Éternellement la vallée et la colline se déplacent, et seulement on voit, de temps à autre, un homme courageux ; il s’élève comme la trombe et fait dix pas vers le soleil, puis il retombe en poudre, et l’on n’aperçoit plus au loin que le sinistre niveau de sable[2]. » Benjamin Constant reconnaît l’omnipotence tyrannique de la société sur l’individu, dans l’ordre du sentiment comme dans l’ordre de l’action. « Le sentiment le plus passionné ne saurait lutter contre l’ordre des choses. La société est trop puissante, elle se reproduit sous trop de formes, elle mêle trop d’amertume à l’amour qu’elle n’a pas sanctionné[3]… »

Le sentiment auquel aboutissent les fortes individualités est celui d’une disproportion irrémédiable entre leurs aspirations et leur destinée. Pris entre

  1. Voir le roman des Pléiades, p. 22, 23, etc.
  2. Vigny, Journal d’un poète, p. 262.
  3. Benjamin Constant, Adolphe, p. 202.