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DERNIÈRES ANNÉES.

souffrir, la maladie poursuivait ses ravages et le torturait plus cruellement. Une grande tristesse alors remplissait son âme. Un instant, il douta de son œuvre qui avait été sa vie même ; il douta s’il avait suivi la bonne voie, si, au lieu de vouloir « forcer l’avenir », il n’eût pas mieux fait de « proportionner ses espérances à son état et de mesurer ses entreprises à sa condition », si son ambition ne l’avait pas trompé, s’il n’était pas l’auteur responsable de son infortune.

Ces hésitations, ces regrets, nul de ses amis n’en reçut l’aveu. Voltaire a pu dire de lui : « Je l’ai vu le plus infortuné des hommes et le plus tranquille », et Marmontel a pu écrire : « Une sérénité inaltérable dérobait ses douleurs aux yeux de l’amitié…. Tandis que tout son corps tombait en dissolution, son âme conservait cette tranquillité parfaite dont jouissent les purs esprits. C’était avec lui qu’on apprenait à vivre, et qu’on apprenait à mourir. » Aux heures les plus douloureuses il se bornait à confesser dans quelques pages impersonnelles d’esquisse morale[1] les doutes qui lui venaient sur la direction et l’utilité de sa vie, et ces épanchements discrets soulageaient son cœur oppressé. Jamais, chez lui, la plainte ne prit une forme plus accentuée.

  1. Essai sur quelques caractères.