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VAUVENARGUES.

tion, quand on n’a rien ménagé pour réaliser son rêve, le coup est rude de se trouver, à trente ans, sans état, sans fortune, avec à peine la force de vivre. Cependant, Vauvenargues ne perdit pas courage ; il pensait déjà que « le désespoir est la pire de nos erreurs », et tout ce qu’il y avait en lui d’ardeur et de fierté protesta contre la destinée qui l’accablait. Il était aussi de race trop haute pour tomber dans le défaut commun des natures vulgaires que les revers immérités et les déceptions prématurées aigrissent ou dépravent à jamais : il garda sa sérénité, son amour de la vie, sa sympathie aux choses, son indulgence aux hommes. Mais si son âme sortait intacte, fortifiée même de cette épreuve, c’est par d’autres voies qu’elle devait désormais poursuivre son idéal. Puisque l’action effective, l’action réelle — celle qui se déploie dans la carrière des armes comme celle qui s’exerce dans la politique, — lui était interdite, il se rejeta vers l’action par la pensée.

Ce fut là, j’imagine, une heure grave et douloureuse, une de ces luttes intimes où se décide la destinée morale d’un homme.

Des considérations d’ordre très différent aggravaient, pour Vauvenargues, l’intensité de cette crise de conscience.

D’abord, le sort même de sa vie matérielle était en jeu. Sa famille, ne pouvant lui assurer une exis-