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AMITIÉ DE VOLTAIRE.

dessein de rendre quelque honneur aux cendres de tant de défenseurs de l’État, pour élever aussi un monument à la tienne. Mon cœur rempli de toi a cherché cette consolation », etc. Après ce morceau on peut relire la belle page de Pline sur la mort de Corellius Rufus, ou bien encore l’admirable lettre de Montaigne sur la mort de La Boétie : c’est le même sentiment, aussi pur et aussi touchant. À travers les âges, l’âme humaine est constante à elle-même : les fibres profondes rendent toujours les mêmes accents.

On s’est demandé quelle eût été, si Vauvenargues avait vécu, son influence sur Voltaire. Il y avait entre eux une trop grande différence de nature et une trop forte disproportion de génie pour que cette action fût sérieuse. Et puis, pour dire toute ma pensée, je ne crois pas que leur intimité eût beaucoup duré : elle était nécessairement fragile et éphémère. Le temps était passé de ces grandes amitiés littéraires dont l’antiquité, la Renaissance et le xviie siècle nous ont laissé de si beaux exemples. Ces nobles commerces des esprits et des âmes, qui faisaient le charme et la dignité de toute une vie, n’étaient plus possibles au siècle de Louis XV où les rivalités étaient si vives, où les amours-propres étaient si follement excités, où les parties les plus susceptibles de la personnalité humaine étaient exposées à de continuels froissements.