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VAUVENARGUES.

n’avez plus de génie. Je suis si choqué de ces impertinences qu’elles me dégoûtent non seulement des gens de lettres, mais des lettres mêmes. Je vous conjure, mon cher maître, de polir si bien votre ouvrage qu’il ne reste à l’envie aucun prétexte pour l’attaquer. Je m’intéresse tendrement à votre gloire, et j’espère que vous pardonnerez au zèle de l’amitié ce conseil dont vous n’avez pas besoin[1]. »

Tant que Vauvenargues vécut, Voltaire lui prodigua les preuves de son affection ; quand la mort les eut séparés, l’illustre écrivain se fit un pieux devoir de rendre à son ami disparu un hommage public de tendresse et de vénération. Un Éloge funèbre des officiers morts pendant la guerre de 1741 lui servit de prétexte à consacrer cette chère mémoire. « Par quel prodige avais-tu, à l’âge de vingt-cinq ans, la vraie philosophie et la vraie éloquence, sans autre étude que le secours de quelques bons livres ? Comment avais-tu pris un essor si haut dans le siècle des petitesses ? Et comment la simplicité d’un enfant timide couvrait-elle cette profondeur et cette force de génie ? Je sentirai longtemps avec amertume le prix de ton amitié…. C’est ta perte qui mit dans mon cœur ce

  1. Voir, en tête du volume, le fac-similé de celle lettre, dont l’original est aux manuscrits du British Muséum (Eg. 41). Bien que non datée, elle est certainement du lundi 23 mai 1746, car elle répond à un billet de Voltaire écrit la veille et qui porte la date du dimanche 22 mai 1746.