Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
VAUVENARGUES.

tif, l’action se substituera bientôt comme un autre idéal, plus rapproché, plus facile à étreindre, et il l’aimera en elle-même, pour les satisfactions immédiates qu’elle procure. Par instants, la beauté de l’effort éclipsera à ses yeux la splendeur du but ; l’intérêt de la lutte lui en fera oublier le prix, — et « le combat lui plaira sans la victoire ».

Cette nécessité de l’action ne s’applique pas seulement à l’ordre des faits et aux rapports avec le monde extérieur : elle s’étend jusqu’au domaine de la conscience et elle en régit les manifestations les plus intimes. L’ambitieux de gloire, quand par hasard il réunit, comme Vauvenargues, les deux natures du moraliste et de l’homme d’action, est contraint, sous peine de manquer au premier de ces rôles, de soumettre à une discipline particulière l’exercice même de sa pensée : son âme incline-t-elle parfois à la rêverie poétique et à la méditation pure, il lui est défendu de s’y attarder. Libre à Spinoza de s’absorber toute sa vie dans la contemplation de l’infini et à Kant de s’abstraire, quarante années durant, dans l’étude transcendante du monde moral ; pareils à de purs esprits, ils pouvaient demeurer étrangers aux passions, aux intérêts, aux événements de leur époque et poursuivre leurs spéculations comme si en dehors d’eux le monde n’eût pas existé. Mais une telle hauteur métaphysique n’est pas permise à celui qui ne veut pas se déta-