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L’ŒUVRE DE VAUVENARGUES.

Un grand arrêt avait été porté sur l’homme au xviie siècle : Port-Royal, le considérant comme une créature déchue, mauvaise, incurablement infectée de ces vices originels qui, suivant l’énergique expression de Saint-Cyran, « la souillent et la diffament devant Dieu », l’avait profondément humilié dans sa raison afin de lui faire sentir l’impérieux besoin d’une aide surnaturelle. À l’autorité de cette grave sentence , dont seul Molière en son temps avait osé faire appel, La Rochefoucauld avait fourni des arguments nouveaux : sans offrir à l’homme les moyens de se relever de sa dégradation, il s’était complu à disséquer cruellement son cœur, à le mutiler, à n’y reconnaître pour mobiles de ses sentiments que la vanité et l’intérêt. C’est contre ce jugement qui ne laissait rien subsister des qualités instinctives ni des vertus naturelles de l’homme que Vauvenargues s’est inscrit en faux.

Certes, la thèse brillante de La Rochefoucauld n’est trop souvent que vérité. Combien est-il, en effet, de nos pensées et de nos sentiments que n’entachent nul égoïsme, nulle considération personnelle ? Mais il y a aussi tels instants où, de ce fond de misère morale, sort un cri de l’âme, un mouvement irréfléchi qui nous porte hors de nous, un élan soudain vers quelque chose qui n’est pas nous, qui est un autre créature, un parent, un ami, une