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celles-là.


Et le fard et l’injure et la boue et la soie,
Cette misère vraie et cette fausse joie,
Et le luxe avili de cet être insulté,
Et tant de vice en proie à tant de lâcheté,
C’était triste.
C’était triste. Et, songeant à cette infortunée,
Je me disais : « C’est donc pour cela qu’elle est née !
Oh ! penser qu’autrefois elle fut un enfant
Comme d’autres, de ceux qu’on chérit, qu’on défend,
Un de ces êtres purs où tant d’espoir se fonde,
De l’innocence rose et de la pudeur blonde,
Et que c’est devenu la chose que voici !
Est-il un crime au monde égal à celui-ci ?
Qui donc a fait cela ? Ce n’est pas toi, nature ;
Tu ne te connais plus dans cette créature,
Ce rebut du mépris qui ne dit jamais non,
Et qui n’a plus de sexe et qui n’a plus de nom,
Et par l’opprobre seul tient encore à ce monde,
Dans ce chiffre inconnu d’une série immonde !
Qui donc a fait ce spectre en disant : « Il en faut ? »
C’est toi, société pudique et sans défaut ;
Ce fantôme est ton œuvre, ô grande indifférente.
C’est toi qui lui dis : « Marche ! » à cette honte errante ;