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les brumes.


Ainsi tombent les jours comme des feuilles d’arbre.
Et les morts ? et les morts ? Hélas ! combien de fois
S’est-il assis chez vous, le convive de marbre !
Ah ! l’heure sombre ! Hier, il était près de vous,
Il vivait, l’être aimé, joyeux, charmant et doux,
Et le voilà, — terrible, échevelé, farouche ;
La mort l’a fait cela, l’on peut voir sur sa bouche
Le bâillement hideux du sommeil inconnu.
Oh ! quel air effroyable a ce cadavre nu !
Ce n’est plus ni l’enfant, ni l’époux, ni l’amante,
C’est un mort ! Alentour la maison se lamente,
Mais lui, mystérieux, immobile, glacé,
Avec sa bouche d’ombre et ses yeux de ténèbres,
Demeure. — Il a vécu. — C’est tout. — Il a passé.
On entend dans ses os des craquements funèbres ;
On est là, regardant, stupide, anéanti,
Cette main, ces cheveux, ce front, cette paupière,
Cette femme d’albâtre ou cet homme de pierre,
Cette armure de l’être et d’où l’être est parti,
Toujours là, répétant le même mot sans cesse :
« Mais c’était mon enfant, ma mère, ma maîtresse !
Je l’aimais ! ô mon Dieu. Pourquoi ? Qu’ai-je donc fait ? »
La nuit reste muette et l’Éternel se tait.