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regards m^agaçaient encore plus, et je riais et je parlais vivement encore, sans trop savoir pourquoi je riais et je parlais si bruyamment. Mon mari se retira dans son cabinet et en referma la porte sans dire un mot. Aussitôt ma gaieté factice disparut, et Maria Minitchna me demanda tout étonnée ce que j’avais. Je ne répondis rien et me mis à pleurer.

À quoi pense-t-il ? à quelque chose d’insignifiant sans doute, qui lui paraît grave à lui ; il se plaît à m’humilier avec son calme et sa supériorité imaginaire, me disais-je avec colère. Il croit que je ne peux pas le comprendre et veut paraître grand devant moi. Peut-être a-t-il raison, mais j’ai raison, moi aussi, lorsque je sens que je me meurs d’ennui, que tout est sourd ici, et que je veux vivre, me mouvoir, agir, et non moisir sur place et sentir que le temps passe sans rien apporter de nouveau. Je veux aller en avant, je veux, je désire la vie. Tout est entre ses mains ! Non, il ne me faut pas seulement la ville, il faut aussi qu’il devienne plus confiant avec moi, qu’il cesse de vouloir paraître plus qu’il n’est réellement, qu’il soit simplement lui-même. Refoulant des larmes amères, je sentais que je lui en voulais, sans savoir pourquoi. J’eus peur de moi-même et j’allai près de lui. Il était assis devant sa table et écrivait. En entendant mes pas il se retourna un instant avec indifférence, puis se remit à écrire. Ce regard furtif me déplut ; au lieu de m’approcher, je pris un livre et me mis à le feuilleter. Il leva, la tête encore une fois et me regarda.

« Macha, tu es de mauvaise humeur ? »

Je répondis par un regard froid qui signifiait : À quoi bon le demander ? Voilà une amabilité tardive !