aurons encore le temps de le faire plus tard ; tandis que pour ce quelque chose que je ne saurais définir il sera trop tard après, il me fallait plus que je n’avais, il me fallait la lutte, il fallait que la passion guidât ma vie. Je désirais approcher de quelque abîme avec lui et pouvoir me dire : un pas de plus et je m’y engloutis, un mouvement en avant et je suis perdue ! Tandis que lui, pâlissant au bord de l’abîme et me saisissant dans une étreinte passionnée, m’aurait maintenue un moment au-dessus du précipice pour m’emporter ensuite au loin, n’importe où, mais loin, bien loin ! Cet état d’esprit réagissait sur ma santé, et mes nerfs endoloris commençaient à se tendre de plus en plus.
Un autre matin, je me sentais plus mal à l’aise que d’ordinaire, et lui aussi revint mal disposé de son bureau, ce qui était rare. Je lui en fis l’observation en demandant ce qu’il avait ; mais il me donna une réponse évasive, ajoutant que cela ne valait pas la peine d’être raconté. Comme je l’ai appris plus tard, la cause avait été le juge, qui, après avoir convoqué nos paysans à cause d’une brouille récente avec mon mari, avait voulu se venger sur eux en les frappant de taxes illégales. Mon mari ne parvenait pas à se calmer à la suite de cette affaire qui l’avait ému, malgré que tout cela lui semblât misérable et ridicule. De là venait sa mauvaise humeur. Mais dans ce moment sa réponse me froissa, et je crus que s’il ne me disait rien, c’est parce qu’il me croyait toujours une enfant incapable de le comprendre. Je me détournai, et, en me levant de table, je pris le bras d’une de nos vieilles résidentes. Maria Minitchna, et commençai à discuter avec elle vivement sur un sujet quelconque. Mon mari me regardait de temps à autre. Mais, je ne sais pourquoi, ses