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riorité, dissimulée avec tant de bonté, était encore un attrait pour moi et augmentait mon estime, presque mon culte pour lui. Je savais par Katia qu’outre les soins assez fatigants qu’il prodiguait à sa vieille mère, et ses affaires et les nôtres, dont il avait charge, il avait de fréquentes et pénibles discussions avec les gentilshommes voisins, qu’il effarouchait par ses tendances libérales à l’égard de ses paysans, qu’il aimait sincèrement. Mais quels étaient ses convictions, ses projets, ses espoirs, je ne pouvais jamais rien tirer de lui à ce sujet, et dès que je faisais quelque timide allusion, il fronçait le sourcil et paraissait me dire : « Mais qu’est-ce que tout ceci peut vous faire, à vous ? »

D’abord cela me fut pénible ; puis, avec le temps, je m’habituai à ne parler avec lui que de moi et de ce qui me concernait, et ensuite ce qui chez lui me déplaisait le plus d’abord me devint agréable ; je fais allusion à ce que jamais il ne me disait ni ne cherchait à me faire comprendre que j’étais jolie, tandis que tous les autres me le répétaient sans cesse. Il aimait même à me chercher des défauts et à me taquiner à ce propos. Les robes et les coiffures à la mode dont ma bonne Katia aimait à me parer les jours de fête, provoquaient ses moqueries, et cela rendait Katia plus penaude que moi, qui n’étais que confuse. Katia, qui savait bien que je lui plaisais, ne pouvait pas comprendre comment, lorsque j’étais en grande toilette, je lui paraissais moins belle. Mais lui affectait de croire qu’il n’y avait pas ombre de coquetterie en moi, et je lui plaisais surtout dans mes simples robes de tous les jours. Dès que je m’en fus rendu compte, coiffures et robes à la mode disparurent, mais aussitôt se développa en moi une coquetterie plus dangereuse que l’autre, celle de la