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J’étais si embarrassée que je ne savais que répondre.

« Je ne vous fais pas là une proposition sérieuse, mais répondez comme cela, tout simplement : ce n’est pas à un mari comme moi que vous visez lorsque vous vous promenez tout le soir dans les allées sombres, et une telle alliance serait pour vous un malheur, n’est-ce pas ?

— Pas un malheur…, murmurai-je.

— Mais pas un bonheur non plus ?…

— Oui, mais je peux me trom… »

Il m’interrompit encore.

« Elle a raison, dit-il à Katia, et je lui suis reconnaissant de sa franchise, et suis très content de notre conversation. Oui, non seulement pour elle, mais pour moi aussi ; cela nous fera éviter un plus grand malheur, ajouta-t-il pensivement.

— Vous êtes toujours le même être singulier et bizarre, et les années ne vous ont pas changé. »

Katia, mécontente, sortit commander le souper. Nous nous tûmes tous deux après la sortie de Katia, et le rossignol reprit ses arpèges harmonieux, tandis que dans le ravin, près de l’étang, un autre rossignol lui répondait par des accords plus amples encore. Leurs voix majestueuses résonnaient dans le silence qui nous entourait mystérieux. Je ne savais de quoi commencer à parler, après l’étrange discussion de tout à l’heure ; je regardai Serge Mikhaïlitch, et fus surprise de m’apercevoir que ses yeux brillants ne me quittaient pas.

« Il fait bon vivre lorsque le monde est si beau, dis-je enfin en soupirant.

— Pourquoi ? me demanda-t-il.

— Il fait bon vivre lorsque le monde est si beau…