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— Parce que j’aime à rester, quoi ! répliqua-t-il en riant. Non, Katerina Karlovna, vous et moi nous ne sommes plus bons au mariage. Il y a bien longtemps déjà qu’on ne me regarde plus comme un monsieur à marier, et il y a longtemps aussi que je n’y songe plus moi-même. »

Je crus m’apercevoir qu’il y avait dans sa voix rieuse quelque chose qui n’était pas naturel.

« Comment ! à trente-six ans vous vous dites vieux continua Katia.

— Oui, et bien vieux. Je n’ai plus qu’un désir : c’est de rester en place, et pour se marier il faut autre chose. Demandez-le-lui, poursuivit-il en me regardant. Voilà qui doit se marier ; et, quant à nous, il ne nous reste autre chose à faire qu’à nous réjouir de son bonheur. »

Mais encore une fois dans sa voix sonore vibrait une tristesse secrète, et presque de l’amertume. Il se tut un moment, puis reprit :

« Supposez que par un malheureux hasard j’en vienne à épouser une jeune fille de dix-sept ans, comme Macha… Maria Alexandrovna… C’est un très bon exemple, et je suis bien aise qu’il me soit venu à l’esprit… »

Je me mis à rire aussi, quoique sans trop comprendre pourquoi il trouvait cette supposition si ridicule.

« Eh bien, répondez-moi franchement, la main sur la conscience, Maria Alexandrovna ; ne serait-ce pas un malheur pour vous de lier votre vie à celle d’un homme vieux, blasé, qui ne désire plus que de rester tranquille, alors que vous désirez quantité de choses, et que Dieu sait les idées qui trottent dans votre petite tête ? »