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répliqua-t-il en plaisantant ; mais sa voix avait une intonation sérieuse.

« Eh bien, pourquoi pas ? Faisons le tour du monde ! » m’écriai-je. Il sourit.

« Et ma mère ? et les affaires ? Au reste, ce n’est pas en question ; racontez-moi plutôt comment vous avez passé votre temps. Vous êtes-vous encore ennuyée ? »

Je lui racontai que je m’étais beaucoup occupée, et pas ennuyée du tout, et Katia confirma mes paroles ; il me récompensa par un compliment et un bien doux regard, comme il en avait eu le droit. Il me parut nécessaire de lui raconter tous les détails de ma vie, et de lui avouer tout le bien et tout le mal que j’avais pu faire. La soirée était belle, et quoiqu’on eût emporté le samovar, nous restâmes sur la terrasse. La conversation était si intéressante pour moi, que je ne m’aperçus point que la nuit et le silence se faisaient plus profonds autour de nous. Les parfums des fleurs, de l’herbe et de la rosée devinrent plus enivrants. Le rossignol gazouillait légèrement dans les lilas d’à côté, mais, effrayé par nos voix, il se tut subitement. Le ciel étoile paraissait se pencher vers nous. Une chauve-souris vint voleter sur la terrasse, et j’avais envie de crier, mais elle s’en alla dans les arbres du jardin et disparut dans la pénombre.

« Que j’aime votre Vokrovka, dit tout à coup Serge Mikhaïlitch ; je voudrais rester ainsi toute ma vie sur cette terrasse.

— Eh bien ! qui vous en empêche ? dit Katia.

— Oui, c’est cela, restez ; mais la vie, reste-t-elle aussi ?

— Pourquoi ne vous mariez-vous pas ? ajouta Katia vous seriez un mari parfait.