Au bout de cinq minutes il n’était plus un étranger, il était des nôtres ; les gens eux-mêmes le servaient avec un empressement particulier, et on voyait qu’il était le bienvenu pour nous tous. Il ne nous fit point de banales condoléances et ne soupira guère ; il tâchait au contraire d’éviter le sujet douloureux, et au commencement cette indifférence apparente me parut presque inconvenante. Mais lorsque, le soir, Katia se mit à la place qu’occupait jadis maman, et nous deux Sonia à ses côtés, et que le vieux Grégorii apporta une vieille pipe de papa, il se mit à marcher de long en large dans la grande salle ; puis, s’arrêtant tout à coup, il dit d’une voix profonde :
« Grand Dieu ! que de terribles changements dans cette maison !
— Oui, répondit Katia déjà prête à pleurer.
— Vous rappelez-vous votre père ? me demanda-t-il.
— Fort peu, répondis-je.
— Et comme vous seriez heureuse maintenant avec lui ! » murmura-t-il pensif, en regardant mon front et mes yeux qui lui rappelaient sans doute ceux de son ami d’enfance. « J’ai beaucoup aimé votre père », ajouta-t-il plus bas ; et il me sembla que ses yeux devenaient plus brillants.
« Et Dieu nous l’a prise aussi, elle, dit Katia en couvrant sa figure de son mouchoir.
— Oui, il y a eu de terribles changements, répéta-t-il, en se tournant vers la fenêtre. Allons, Sonia, montre-moi tes joujoux », dit-il en changeant brusquement de ton et de sujet ; et il passa avec ma petite sœur dans la pièce à côté.
Je le regardai, silencieuse et émue, tandis que Katia me disait :