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côté du moujik, et ses jambes, que le vent découvrait incessamment, commençaient à se refroidir. Mais il n’y prenait point garde, ne se préoccupant que de son domestique.

« Il faudra bien qu’il se réchauffe tout à fait, à la fin ! » pensait-il avec l’assurance qui lui était habituelle lorsqu’il parlait de ses affaires.

Il ferma les yeux malgré lui. D’abord défilèrent dans son imagination les impressions du chasse-neige, des brancards dressés avec le foulard qui claquait au bout de l’un de ses flancs, et de Nikita étendu au-dessous de lui. Puis ce furent les souvenirs de la fête, sa femme, l’ispravnik, le tiroir aux cierges, et de nouveau Nikita. Ensuite la famille de Tarass, les murs blancs de sa propre maison, la grange en fer qui y attenait. Enfin tout se confondit dans le sommeil comme les couleurs de l’arc-en-ciel se perdent en une seule lumière blanche.

Assez tard, des rêves survinrent. Il se voit auprès du tiroir aux cierges, et la femme de Tikhon lui en demande un de cinq kopeks pour la fête. Il veut prendre un cierge et le lui donner, mais impossible de lever les bras, et même de desserrer les poings. Alors il se dit que c’est le moment de tourner autour du comptoir. Mais pas moyen de remuer les jambes, et ses galoches, neuves d’ailleurs et superbes, sont clouées sur le sol, et il ne parvient pas à en retirer ses pieds. Tout à coup, le tiroir aux cierges, c’est un lit où Vassili Andréitch se voit étendu à plat ventre. Il ne peut se lever, et pourtant il le faut, car Ivan Matvéitch, l’ispravnik, va venir le mettre en demeure d’aller soit marchander le bois, soit replacer la toile et l’avaloire sur l’échine de Moukhorty. Et il demande