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« Qu’est-ce que tu as ? demanda-t-il.

— Je me m… m… meurs, balbutia le bonhomme. Tu donneras au petit ce que tu me dois… Ou à ma femme… N’importe.

— Eh bien, eh bien, tu as donc si froid ?

— La mort vient… Pardonne-moi, au nom du Christ », gémit Nikita en continuant à faire devant son visage le geste de chasser des mouches.

L’autre resta un instant immobile et silencieux. Puis, avec la même décision qu’il montrait lorsqu’il tapait dans la paume de son partenaire après la conclusion d’une affaire, il se redressa, retroussa les manches de sa pelisse, et se mit à enlever des deux mains la neige qui enveloppait Nikita. Ensuite il ôta prestement sa ceinture, écarta sa pelisse, et, poussant son domestique au fond de la voiture, il s’étendit sur lui en le couvrant, non seulement de l’ample manteau, mais de tout son corps échauffé par le mouvement. Il insinua les bords de la fourrure entre le corps du bonhomme et le plancher du traîneau, et resta ainsi, la tête appuyée contre l’avant-train, et ne prêtant plus nulle attention maintenant ni aux piétinements du cheval, ni au mugissement du chasse-neige, mais tout entier tendu à guetter la respiration de son domestique. Celui-ci ne bougea pas d’abord. Puis il respira fortement et remua.

« Ah ! fit Vassili Andréitch, tu vois bien !… Et toi qui parlais de mourir !… Ne te déplace pas, réchauffe-toi… Là, à la bonne heure ! »

À son grand étonnement, il n’en put dire davantage. Des larmes lui avaient jailli aux yeux, et sa mâchoire inférieure s’était mise à trembler. Il ne put qu’avaler la salive de sa gorge contractée.