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gnit des deux bras l’encolure du cheval, mais là aussi tout tremblait, là le cri devenait plus effrayant. Il fut plusieurs secondes sans pouvoir se ressaisir et sans comprendre. — Eh ! c’était tout bonnement Moukhorty qui hennissait de détresse avec tout ce que sa voix pouvait avoir de force.

« Que le diable l’emporte, quelle peur il m’a faite ! »

Mais il avait beau avoir démêlé le motif de sa peur, il ne la pouvait plus surmonter.

Il n’était même plus capable de s’apercevoir qu’il avait cessé d’aller à l’encontre du vent pour cheminer dans le sens des lanières de neige. Il était morfondu de froid. Il ne pensait plus à la forêt ni à la maison du garde, et n’aspirait maintenant qu’à retrouver le traîneau. — Oh ! ne pas périr solitaire, comme cette armoise, au milieu de ce désert de neige !

Tout à coup, le cheval glissa et se mit à se débattre dans un amoncellement de la blanche poussière. Vassili Andréitch sauta vivement de côté, entraînant avec soi l’avaloire et la sellette. Moukhorty, dès que son maître se fut dégagé, n’eut pas trop de peine à se relever. Il fit un bond, hennit, sauta de nouveau, et détala, quittant son cavalier en plein tas de neige. Vassili Andréitch voulut le poursuivre, mais il s’enfonçait à chaque pas jusqu’au-dessus du genou, et il lui fallut bientôt s’arrêter.

« Quoi, pensa-t-il, le bois, les magasins, les cabarets, les fermes, qu’est-ce que tout cela va devenir ? »

Et l’armoise tordue par le vent se présenta à son esprit. Alors une telle épouvante le saisit, qu’il douta de la réalité de tout ce qui venait de lui arriver.

« N’est-ce pas un cauchemar ? »

Mais non, il ne dormait pas. La neige qui lui cinglait