Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/157

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avait déjà comblé la place. Il soupira, et se laissa choir dans le traîneau, bien qu’il prévît qu’il ne pourrait s’y réchauffer : avec quoi se couvrir, par-dessus son mauvais caftan, qui le protégeait si peu, qu’il lui semblait n’avoir que sa chemise sur la peau ?

Il s’accroupit tout au fond, grelottant comme feuille au vent. Et bientôt il commença à défaillir.

Mourait-il, ou s’endormait-il seulement ? Il ne savait, mais il se sentait aussi prêt pour la première chose que pour la seconde. Si Dieu veut qu’il se réveille encore vivant dans ce monde pour continuer à soigner les chevaux des autres, à porter au moulin le blé des autres, à boire et faire vœu de ne plus boire, à abandonner tout son argent à sa femme, à attendre de pouvoir acheter un cheval au petit, que Sa volonté soit faite. Si Dieu veut qu’il se réveille dans un autre monde où tout soit aussi nouveau et joyeux qu’étaient nouvelles et joyeuses ici-bas, dans son enfance, les tendresses de sa mère et les parties avec les camarades à travers bois et prairies, que Sa volonté soit faite.

Et Nikita perdit conscience.

Pendant ce temps, Vassili Andréitch poussait sa monture, de la bride et des talons, dans la direction où il espérait trouver la forêt et la maison du garde. La neige l’aveuglait, et le vent était si violent, que Moukhorty parfois s’arrêtait un instant, comme près de renoncer à la lutte. Le cavalier, penché sur l’encolure, avait fort à faire de sans cesse ramener la pelisse entre ses jambes et la sellette glaciale.

Il allait ainsi depuis cinq minutes, toujours tout