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Vassili Andréitch, il y avait le Maître des maîtres qui l’avait envoyé ici-bas, et qui saurait compenser pour lui les vicissitudes de sa triste existence.

« Quitter les lieux où l’on a vécu, la vie à laquelle on s’est habitué ? Bah, il s’agira simplement de s’habituer à une nouvelle vie, et ce n’est qu’un instant à passer… Les péchés ? »

Il se remémora son ivrognerie d’antan, ses violences envers sa femme, ses jurons, sa négligence à remplir ses devoirs religieux…

« Certes, j’ai péché beaucoup. Mais en ai-je cherché les occasions ? »

Et il s’abandonna aux souvenirs qui l’assaillaient, son mariage, son récent refus de prendre de la vodka, son petit, l’isba de Tarass, le jour où il avait bu son caftan et ses bottes, la conversation de tantôt sur le partage, et Moukhorty qui ne devait tout de même pas étouffer de chaleur, et Vassili Andréitch, qui en se remuant faisait à chaque instant craquer le traîneau. À la fin tout se brouilla dans sa tête, et il s’endormit.

Au moment où le maître, en se hissant sur le cheval, ébranla la voiture contre l’arrière-train de laquelle était accoté Nikita, celui-ci fut réveillé par un des patins qui lui heurta le dos. Il dégagea sa tête, regarda et comprit qu’on l’abandonnait. Il cria pour qu’on lui laissât la toile dont le cheval n’avait plus besoin, mais l’autre, sans se retourner, s’éloigna précipitamment dans la blanche poussière.

Nikita, tirant ses jambes à lui non sans peine, se leva. Aussitôt un froid douloureux pénétra tout son corps. Il réfléchit un instant. Partir à la recherche d’une habitation, il n’en avait plus la force. Se rasseoir là derrière la capote n’était plus possible, la neige