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« Ah bien, si l’on vous écoutait, vous autres rustres !… Périr comme çà sans rien tenter ? Par exemple ! »

Il arrangea sur ses genoux les pans flottants de sa pelisse, et lança le cheval dans la direction où il supposait rencontrer la forêt et la maison du garde.

Comme tous les hommes vivant en pleine nature et en proie permanente au besoin, Nikita était d’une endurance à peu près illimitée. Les heures, les jours même, pouvaient passer sans qu’il s’irritât, s’impatientât ou s’inquiétât.

Il avait parfaitement entendu les appels du maître, mais il avait jugé inutile de se déranger pour y répondre. La pensée qu’il pouvait ou plutôt, selon toute probabilité, qu’il devait mourir cette nuit, lui était venue au moment même où il prenait ses dispositions pour attendre le jour derrière le traîneau. Bien qu’il conservât encore la chaleur déterminée par les cinq verres de thé bouillant et les pénibles efforts multipliés dans la neige depuis le tournant de route où les avait quittés Pétrouchka, il savait que cette chaleur irait décroissant rapidement. Et il n’aurait plus la force de réagir contre le froid par de nouveaux mouvements, car il était exténué autant que cheval fourbu le fut jamais. Et puis voilà que celui de ses pieds dont la botte était trouée s’était engourdi au point qu’il n’en sentait plus le pouce.

La mort imminente ne lui parut ni trop regrettable, ni trop effrayante. Sa vie n’était pas si joyeuse : pure servitude qui commençait à lui peser. D’autre part, il se disait qu’au-dessus des maîtres terrestres comme