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de beaucoup de phosphore, et s’y prit si bien cette fois qu’il la fit flamber du premier coup. Il présenta le cadran à la lueur, regarda, et n’en crut pas ses yeux… Il n’était que minuit dix.

Un frisson lui passa dans le dos. Refermant sa pelisse, il se réinstalla, morne.

Soudain, à travers le bruissement monotone du chasse-neige, il perçut nettement un son nouveau, un son émanant à n’en pas douter de quelque chose qui avait vie. Ce son allait augmentant progressivement, pour décroître ensuite graduellement aussi. C’était un loup, il n’y avait pas à se tromper, et un loup qui hurlait à si petite distance que l’on distinguait chaque fois jusqu’à ses changements d’intonation. Moukhorty, remuant ses oreilles dressées, n’écoutait pas avec moins d’attention que son maître, et lorsque le fauve eut terminé sa roulade, le cheval changea de pied et s’ébroua comme pour avertir les gens.

Ce nouveau danger interdisait à Vassili Andréitch tout sommeil, et même lui ôtait toute possibilité de calme d’esprit. C’était en vain à présent qu’il s’efforçait de ramener sa pensée sur ses affaires, sa richesse, sa notoriété, son influence, la peur l’envahissait de plus en plus, et tout était dominé par le désespoir de n’être pas resté à Grichkino.

« Après tout, n’ai-je pas, grâce à Dieu, assez d’affaires sans celle de ce bois… Que n’y ai-je pas renoncé !… On assure que ce sont surtout les ivrognes qui meurent de froid, et justement, à cause de cette maudite fête, et tout à l’heure encore chez Tarass, j’ai bu plus qu’à l’ordinaire. »

Il observa son état, et constata qu’il grelottait de tout son corps. Était-ce de froid ou de terreur ? Il serra