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sili Andréitch ressortait du traîneau et s’approchait de son domestique pour examiner avec lui la situation et y chercher remède. Ils n’eurent que le temps de se baisser sous la fureur du chasse-neige. Moukhorty, lui aussi, se ramassait sur lui-même, et il serrait les oreilles contre l’encolure.

Quand la bouffée fut passée, Nikita retira ses moufles, les enfonça dans sa ceinture, souffla dans ses mains, et commença à détacher les rênes de la douga.

« Que fais-tu là ? s’écria l’autre.

— Dame ! que puis-je faire sinon dételer ? Je suis à bout de forces.

— Ne pourrions-nous tâcher d’arriver n’importe où ?

— Nous n’arriverions qu’à fatiguer le cheval inutilement. Vois dans quel état il est déjà, le pauvre. »

Moukhorty, en effet, n’en pouvait plus, ses flancs fumants de sueur se soulevaient péniblement.

« Il faut passer la nuit ici », fit Nikita, du même ton qu’il eût employé s’ils se fussent trouvés dans une bonne auberge.

« Mais nous allons mourir gelés !

— Eh bien, nous mourrons, s’il n’y a pas moyen de faire autrement… »

Sous ses deux pelisses, Vassili Andréitch avait chaud, surtout après les efforts qu’il avait faits naguère. Pourtant un frisson lui courut tout le long du dos lorsqu’il comprit qu’il était inéluctable pour eux de demeurer là la nuit entière. Il remonta sous la capote et, pour se calmer un peu, tira de sa poche des cigarettes et des allumettes.

Nikita achevait de dételer. Tout en défaisant la sous-ventrière, les rênes, la mancelle, la douga, il ne cessait d’exhorter le cheval.