Page:Pages choisies, par Herbert George Wells, 1931.pdf/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
PREFACE


Scènes de la vie future dont Georges Duhamel fut le témoin désenchanté et qu’il relate en les déplorant. Cependant, c’en est la conséquence déduite par anticipation avec une féroce logique. Deux races demeurent : l’une, souterraine, mécanique, ne sort de ses ténèbres que la nuit pour venir chercher à la surface, où elle les élève comme un bétail, les descendants dégénérés de l’antique classe des oisifs, de l’autre race devenue comestible, dont elle alimente ses abattoirs et qui constitue sa nourriture. Beaucoup de critiques estiment que la Machine à explorer le Temps est la plus puissante et la plus parfaite entre toutes les œuvres de Wells. Il est certain que le récit y est admirablement mené, qu’il captive de bout en bout, et qu’à la fin, la description de l’agonie de la terre, sous un soleil à demi éteint, au crépuscule des âges, se grave inoubliablement dans l’esprit.

D’autres admirent davantage l’Ile du docteur Moreau[1]. Outre qu’à leur avis le récit est échafaudé, composé, développé selon une architecture simple et légère, ils assurent que Wells a réussi là un tour de force, une critique de la Création d’autant plus redoutable qu’elle ne désapprouve pas, qu’elle n’incrimine pas, qu’elle ne s’indigne pas. La résolution insensée du Dr Moreau de façonner des êtres à l’image de l’homme suggère irrésistiblement l’idée de rapprocher de ce thaumaturge présomptueux les dieux de toute espèce qui se sont proposé de créer l’homme à leur image. Que leur œuvre soit aussi imparfaite que celle de Moreau, Wells l’indique par des moyens aussi simples qu’impressionnants. A ses hommes animaux, le maniaque chirurgien fait inculquer une loi qui symbolise les statuts sociaux,— les règles conventionnelles, les injonctions morales ;

  1. Traduit par Henry D. Davray, Mercure de France