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d’avoir recours à elle comme moyen d’analyse et d’expression scientifiques. Dois-je ajouter qu’ils n’ont jamais eu la risible prévention de l’employer à la place des langages naturels dans les usages communs de la vie et moins encore dans le domaine de l’Art ? et qu’on se tromperait tout à fait en les croyant indifférents aux beautés merveilleuses des idiomes nationaux, dont la plasticité inépuisable conserve le cachet de tous les génies des grandes familles humaines ? La Science et l’Art sont les deux grandes manifestations de notre esprit et sont également admirables et bienfaisants. Mais, comme ils ont une substance et un but différents, ils exigent des outils divers ; et si la rigidité du langage scientifique ne peut convenir à la grâce de l’Art, la souplesse du langage artistique pourrait être nuisible à la rigueur de la Science.


Le rêve de Leibniz et sa réalisation

11. La recherche et la construction d’une Idéographie logique a été le souci le plus assidu, je dirais presque le plus pénible, de Gottfried Wilhelm Leibniz pendant sa longue et glorieuse vie intellectuelle (1646-1716).

Dès sa première jeunesse, il en sent le besoin et en a la première intuition ; à vingt ans il entrevoit en elle « l’étoile polaire du raisonnement » et encore dans ses dernières lettres il insiste sur son ancien projet et regrette de ne pas l’avoir réalisé. Il écrivait : « Si j’avais été moins distrait, ou si j’étais plus jeune, ou assisté par des jeunes gens bien disposés, j’espérerais donner une manière de cette… langue ou écriture universelle, mais infiniment différente de toutes celles qu’on a projetées jusqu’ici, car les caractères… mêmes y dirigeraient la raison, et les erreurs… n’y seraient que des erreurs de calcul. Il serait très difficile de former ou d’inventer cette langue… mais très aisé de l’apprendre sans aucun dictionnaire ».

Cependant même à lui, qui a été l’un des mathématiciens et des philosophes dont l’humanité peut s’honorer le plus, ne fut pas épargnée la douleur de la raillerie. Il écrivait dans sa vieillesse : J’en ai parlé à M. le marquis de l’Hospital et à d’autres, mais ils n’y ont point donné plus d’attention que si je leur avais conté un songe. Il faudrait que je l’appuyasse par quelque usage palpable, mais pour