ACTE DEUXIÈME
Scène Première
(Annette est sur une échelle et suspend le portrait d’un aïeul de Kouno. Elle frappe avec un marteau sur un clou. — Agathe, en négligé, s’attache un bandeau.)
Ça ! tiens bien ! c’est là ta place ;
Des lutins quelle est l’audace !
Ces vieux nids
En sont remplis.
Ah ! respecte cette image !
Moi, je rends honneur
Au bon vieux seigneur.
Mais qu’on soit docile et sage,
Car déjà j’enrage.
Quel langage !
Que dis-tu ?
Tu l’ignores ? Vois ce traître !
Doit-il pas porter son maître ?
Clou maudit, sois donc battu ?
Par mes soins mieux suspendu,
Vois-tu,
Hommage ici lui soit rendu.
Très-bien ! à mon aïeul, vois-tu,
Hommage ici sois donc rendu !
Tout a pour toi des charmes,
Et jamais de sombre langueur.
Que d’alarmes
Dans mon cœur ! (Bis.)
Les soucis et la tristesse
De moi n’approchent pas,
Plaisirs, joyeux ébats,
Suivent toujours mes pas.
Jamais de pleurs, rire sans cesse,
Chasser l’ennui quand il me presse ;
Tel est mon seul soin ici-bas.
Ah ! quel vague effroi m’oppresse !
Et mon cœur gémit tout bas…
Bien-aimé ! de ma tendresse
Tous les vœux suivent tes pas.
« Ton brave aïeul ainsi restera, je suis sure,
Cent ans encor… Et ta blessure ?
Ce n’était rien… la peur, l’étonnement…
Et Max… que fait-il donc ?
Sans doute,
Il n’est pas bien loin sur la route ;
Monsieur Kouno m’a dit qu’il viendrait promptement.
Autour de ce lieu solitaire
Tout est silencieux ; je ne sais quel mystère
Semble planer ici
Ah ! quand le jour de noce arrive,
Il est triste vraiment d’être seules ainsi,
Au fond d’un vieux manoir, et sans âme qui vive.
Ah ! si les maîtres d’autrefois,
Ranimés tout à coup, sortaient de ces parois…
Enfant !
Mais sans être craintive,
Je t’avoûrai que j’aime mieux
Les vivants que les morts, les jeunes que les vieux
Qu’un garçon jeune et candide,
Au teint frais, aux blonds cheveux,
Passe auprès de moi, timide,
Faut-il donc baisser les yeux ?
On sait bien en fille sage,
Se donner un air discret,
On regarde son corsage,
Et pourtant, dès qu’il parait,
En secret
Sur son passage
On voit tout d’un œil sournois
En tapinois.
Si l’œillade qui succède
Est surprise tout à coup,
Devient-on aveugle ou laide ?
On rougit et voilà tout.
Doux langage
Qui s’engage
Du regard
Comme au hasard !