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par un temps clair. Quand on voit les feux d’un navire en marche, le premier devoir est de s’assurer du bon fonctionnement du fanal placé en tête du mât de misaine dans tout navire à l’ancre, et si celui qui marche n’a pas l’air de vous apercevoir, alors qu’il vient sur vous, on doit se tenir près de la cloche du bord et sonner de toutes ses forces aussitôt qu’il vous semble qu’il est suffisamment rapproché. La cloche quand on est à l’ancre et le sifflet ou la corne quand on est en marche : tel est le règlement. Quelquefois ces maudits vapeurs m’ont mis dans des transes abominables : il y a longtemps qu’ils vous ont aperçu, mais ils ne daignent changer leur route qu’à la dernière minute, pendant que vous vous morfondez entre la peur du ridicule d’éveiller tout le monde de votre bord avant le danger réel, et celle de laisser couper votre navire en deux.

Cependant les abordages par temps clair sont tout à fait rares. Mais dans les brumes dont j’ai parlé, il faut ouvrir, non les yeux, qui ne peuvent servir, mais les oreilles, afin de percevoir le bruit des cornes des bateaux voiliers, et des sirènes des vapeurs. Alors il ne faut plus quitter les environs de la cloche, et la consigne est de sonner sans hésiter dès qu’on a entendu quelque chose. Une fois, dans ma première campagne, par une nuit de brume de moyenne épaisseur, nous fûmes ainsi réveillés par la cloche et les cris de l’homme de quart : un vapeur monstre, auprès duquel — était-ce l’effet de la nuit ? — il nous sembla que