Page:Pêcheurs de Terre-Neuve, récit d'un ancien pêcheur, 1896.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 48 —

jour le mousse sortit de la soute à biscuit en annonçant qu’elle était vide. On vérifia son dire et comme il ne restait guère que des miettes avariées et moisies, on se mit immédiatement en devoir de lever l’ancre et de larguer les voiles. Quelle joie pour tous, mais pour moi surtout ! Une étape de franchie sur deux ! Il est vrai que la seconde est plus longue et plus dure que la première, mais on n’a pas moins parcouru un bon bout de chemin. Le temps lui-même s’éclaircit comme pour fêter notre départ : la mer prend une robe bleue. Pendant une dizaine de jours on va « refaire ses mains » toutes plus ou moins blessées. Et pour ma part je vais vivre en dehors de ce sanguin et de cette bave de morue dont je commence à avoir assez. Décidément j’aime la mer, si je n’aime pas la pêche.

Nous aurions dû être à Saint-Pierre en trois ou quatre jours. Comment notre capitaine fit-il son compte ? Au bout d’une semaine on n’avait pas même aperçu Terre-Neuve. Ce fut seulement le neuvième jour qu’on signala la terre, mais une terre qui n’avait nullement l’aspect de celle attendue. En même temps, un grand vapeur qui passait près de nous fut interrogé télégraphiquement et aussitôt qu’on eut compris ses signaux, on vira de bord et on prit une route presque opposée à celle qu’on suivait. Nous avions dû passer trop au sud de Terre-Neuve et de Saint-Pierre. La terre que nous voyions était sans doute quelque point de la côte de l’île du Cap Breton ou de la Nouvelle Écosse. Deux jours après nous étions à Saint-Pierre, où nous