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comme un vrai paquet de linge, entre les bras de ceux du pont. Quand c’est la vie même qui est en danger, se cogner la tête ou se casser un membre devient acceptable. Il en est qu’on est obligé d’embarquer dans un panier, au moyen d’un « cartahu » ou cordage passant par une poulie suspendue aux agrès. Pendant que les uns hissent le panier, d’autres tirent sur une corde destinée à l’amener dans le navire ; mais c’est là un procédé extrême, et qui prend trop de temps en des moments où l’on n’en a guère ; il faut que l’on ait affaire à des hommes bien affolés pour qu’on en use. Quant à ceux qui n’ont pas peur, comme des cavaliers debout sur un cheval emporté, ils se tiennent un pied sur un banc et l’autre sur le bord de la chaloupe « paumoyant » une corde qui leur vient du navire. Un choc arrive, ils sont démontés de cette posture, ils retombent au fond de l’embarcation : l’important, c’est de ne pas tomber dehors, où l’on a toutes les chances de se faire écraser. Ils ont bientôt fait d’ailleurs de poser leurs mains sur la lisse du navire, juste à l’instant où la chaloupe dans sa montée rapide les pousse et les jette comme d’elle-même sur le pont où ils savent tomber sur les pieds. Il faut être doué d’une souplesse de singe ou de chat, mais la chose n’est pas rare parmi les matelots.

Après ces heures dangereuses, quelque agité que soit le navire et tourmentée la vie qu’on y mène, je ne vois pas de maison solide et bien close qui m’ait donné pareilles impressions d’aise et de sécurité.