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temps, quand la mer est démontée, que cette opération de sauter à bord peut prendre les proportions d’un vrai tour de force. Le navire est là devant vous, qui roule quelquefois au point que ses basses vergues vont toucher la mer ; à le voir puiser de l’eau par-dessus ses bords, on dirait qu’il veut vous cueillir en dessous, comme on ferait avec une cuillère. À ce moment passe une lame, qui soulève votre esquif et menace — cela s’est vu — de précipiter d’un seul coup sur le pont chaloupe et hommes qui sont dedans. Quelques secondes après, le navire est sur l’autre flanc, et au lieu du vide que vous aviez tout à l’heure sous les yeux, vous vous trouvez en face d’une muraille haute comme un premier étage. Et ces alternatives vont se répétant sans cesse. La chaloupe cogne sur le vaisseau, et menace de se démolir. Il faut donc se hâter. Cependant vous ne pouvez guère embarquer qu’un à la fois. Il faut que ceux du bord, le capitaine, qui doit payer de sa personne en ces jours-là, le second et le saleur reçoivent l’un après l’autre ceux qui se précipitent, ou qu’on précipite pieds ou tête devant, et qui pourraient s’assommer sur le pont ; qu’ils empoignent vigoureusement ceux qui, manquant leur coup, s’accrochent à la lisse et restent suspendus le long du bord, où la chaloupe va les broyer. On expédie d’abord les trembleurs. Les plus braves ont du sang-froid pour eux, et ils saisissent le moment fugitif où chaloupe et navire vont se trouver dans le même plan, et où ils vont les lancer plus ou moins heureusement, et c’est ici le cas de dire,