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animaux. Si un homme est plus qu’une brute, il doit pouvoir plus qu’elle. Marcher, travailler tout éclopé, c’est le sort de la majorité des êtres, et c’est peut-être aussi le meilleur moyen de ne pas trop sentir ses douleurs. — Mais quoi qu’il en soit, la levée des lignes qui dure quatre heures, en moyenne, peut en atteindre de huit à douze en ces jours de dur tirage. Une fois dans ma seconde année de pêche, la chaloupe dont j’étais, partie à deux heures et demie du matin, ne revint qu’à trois heures du soir, et l’autre chaloupe revint plus tard encore.


On a gagné le droit de déjeuner à la suite de pareilles corvées. Depuis le « boujaron » du lever, on a bien, sur la chaloupe, cassé une croûte et bu, à tour de rôle, à même le goulot d’une même bouteille, un litre d’eau-de-vie entre sept ou huit hommes. Mais tout cela est parti loin après une dure marée de hale. J’en ai vu — et j’ai été quelquefois de ceux-là — qui n’avaient même plus la force de remonter sur le navire. À peine accostés, ceux du bord vous ont bien fait passer la « goutte » ou un « pichet « de vin, vraiment bienfaisants alors, quoi qu’en puissent penser les ennemis de l’alcool, — car là, on ne connaît plus les bouillons, ni les consommés réconfortants : sans ce verre de vin ou d’eau-de-vie, jamais on n’aurait le courage d’embarquer le poisson, les lourds paniers de lignes, et tout l’armement de la chaloupe, ni soi-même surtout.

C’est justement, en effet, dans ces jours de mauvais