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tirer pied par pied, d’une profondeur de soixante-dix à cent mètres la longueur de cordes que j’ai dite, dans une « marée de hale », c’est-à-dire quand il vente frais, et qu’au poids ordinaire des lignes s’ajoute le remorquage de la chaloupe contre le vent et contre la lame, c’est là un travail littéralement exténuant.

Imaginez sept ou huit hommes dans cette chaloupe. Le premier est couché sur l’avant, la tête et les bras en dehors ; il ne peut guère tirer dans cette position ; son rôle est plutôt de maintenir la ligne sur une poulie plantée là à côté de son corps dans la « lisse » ou bord supérieur de la chaloupe. En même temps il compte les morues, ou plutôt il annonce celles qui sont en vue en criant : deus, meus, deo, meo, sancta, maria, blanc partout, ce qui veut dire une, deux, trois, quatre, cinq, six, ça n’en finit plus. Toutes ces manières d’avertissement ont pour effet de faire préparer des gaffes ou crochets emmanchés, au moyen desquelles on peut prévenir la perte des pièces qui ne supporteraient pas d’être soulevées au-dessus de l’eau par l’hameçon seul, les plus belles justement.

Eh bien ! cet homme, voyez-le sur l’avant de l’embarcation : presque tout le poids de son corps porte sur la poitrine. À chaque coup de tangage, ses bras plongent dans l’eau et la mer le fouette au visage. Il a beau rabattre son suroît, serrer le col et lier les manches de son cirage, il n’évitera pas de changer de vêtements lorsqu’il reviendra à bord. Derrière lui, six hommes sont debout sur le « banc de halage » qui