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gamelle, où chacun à son tour plonge sa cuillère, et à l’ouvrage !

Cet ouvrage consiste d’abord, pour tous, à ébrouailler les morues. Ébrouailler signifie enlever les intestins en mettant de côté les langues — qui sont, de par l’usage, destinées à être partagées entre les hommes, à la fin de la campagne — et les foies dont on fait de l’huile. Chaque morue ébrouaillée est jetée dans un parc rectangulaire construit vers le milieu du pont, entre le grand mât et le mât de misaine, avec de solides madriers. Après cette opération, les pêcheurs vont boitter, et les chafaudiers restent seuls à s’occuper du produit de la pêche.

Je vais enfin connaître ce travail de décolleur dont on m’a tant parlé depuis que je suis embarqué. Je monte dans le parc, « pelleté » et botté pour la circonstance, c’est-à-dire qu’outre le « cirage » nécessaire aux plus beaux jours de pluie, je suis sanglé dans un grand tablier de toile à voile fortement goudronné qui n’est nullement de trop. Me voici debout au milieu du poisson gluant, sanguinolent, que le roulis fait passer et repasser à travers mes jambes. Un matelot y est avec moi pour m’enseigner la manière de faire. Il suffit de prendre chaque morue de la main gauche, et de la droite, avec un couteau piqué prés de moi, dans l’établi, de faire une légère entaille de chaque côté, sous la mâchoire, et après avoir repiqué le couteau, de porter le pouce au fond de l’ouverture qui résulte de l’ébrouaillage, puis de renverser, au-dessous de l’établi, la tête du poisson ainsi mainte-