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tions en mirent plus d’un hors d’état de ramer pour revenir à bord.

La seconde fois, ce fut pour aller dans les magasins de la ville faire les provisions dont tout matelot se munissait alors avant de partir pour le Banc, provisions de quelques objets utiles, mais provisions de liquides surtout. Je regardai avec un œil de curiosité et d’envie toutes ces maisons de bois dans lesquelles il me semblait qu’on devait être si bien : les traitements dont je vous ai parlé ne m’avaient pas précisément acclimaté avec mon métier. Comme j’eusse été heureux si, d’une façon ou d’une autre, j’avais pu changer de situation avec l’un de ces hommes que je voyais travailler dans les ateliers ou chantiers, voire même avec l’un des petits pêcheurs de l’île, qui ont une vie dure, eux aussi, mais qui ont au moins le bonheur de dormir à terre chaque soir après le labeur du jour ! J’eus même un vif mouvement d’aspiration vers le sort des hommes d’une compagnie de discipline que je vis travailler à l’une des cales du port, sous la surveillance des gardes-chiourmes. La justice devait régner là, où se tenaient des hommes galonnés ! Car, à part mes heures d’oubli dans le travail ou le sommeil, remarquez que je vis toujours dans la conviction que je suis le plus malheureux de la terre.

Enfin, les Anglais apportèrent bientôt assez de harengs pour qu’on pût faire la « boitte » à des prix raisonnables. La nôtre fut embarquée et salée le même jour. Je n’avais jamais vu tant de poissons à la