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D’ailleurs, nous ne restâmes pas longtemps dans la banquise. Autant que je puis croire, on fit vent arrière, et lentement, au milieu des ténèbres, le navire fendit de son étrave les glaces qui grinçaient. Au bout d’une heure, ce fut fini.

Alors on mit en panne et le reste de la nuit se passa sans nouvelles alertes. Le lendemain, neige très épaisse. De sept heures du matin à midi je fus employé à jeter par-dessus bord la neige accumulée dans les endroits qui doivent toujours être dégagés pour la manœuvre, et j’y suffis à peine. On marchait à petite toile. Mais dans la soirée, le temps, devenu clair, permit de donner au navire sa vitesse possible, et, aux approches de la nuit, on aperçut la terre. C’était Terre-Neuve. Le point en vue était le « Chapeau rouge », une petite montagne ainsi nommée à cause de sa forme, je pense, et parce que, sous le soleil de juin, elle est d’un brun rougeâtre comme toutes les côtes de ce pays.

Après avoir pris connaissance d’un point déterminé de Terre-Neuve, il devenait très facile de mettre le cap directement sur Saint-Pierre, et c’est ce qui fut fait sans doute. Mais il n’en advint pas moins que, dans la nuit, j’eus des occasions de constater le peu de confiance de l’équipage et des passagers dans notre capitaine, — un débutant qui ne savait guère imposer silence aux soi-disant connaisseurs. D’après ceux-ci, on entendait toujours les brisants de la côte et nous étions constamment à deux doigts de nous