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pête qui dura trente-six heures et qui ne me parut pas trop inférieure à ce que j’avais rêvé. Une tempête loin des côtes et de tout récif, et lorsqu’on est à bord d’un navire qui se comporte bien à la mer, je ne sais pas de spectacle plus beau, plus émouvant si vous préférez. N’attendez pas, cependant, que je vous en fasse la description, car tout ce que je pourrais vous dire, comme tout ce que j’ai lu dans cet ordre, ne pourrait donner qu’une pâle idée de l’âpre sentiment de triomphe du marin qui — sur la masse de son navire devenue plume alors — domine les lames hautes et profondes et se sent des envies de rire à la mer rageuse.

En outre, plusieurs belles nuits me permirent encore de m’oublier moi-même et d’intéresser plus d’un matelot de ma bordée aux récits des romans que j’avais lus. Entre autres, en plusieurs séances, bien entendu, tout Monte-Cristo y passa. En ce temps, j’étais capable de pareils tours de force.

Seulement, comme ceci avait lieu sur l’avant du navire, où je devais veiller au bossoir, tant que durait le quart, et comme le maître de pêche qui remplissait le rôle d’officier de quart n’avait plus à qui parler, lui qui était obligé de se tenir derrière, il me fut bientôt défendu de continuer mes récits. Une nuit, au beau milieu d’une de mes histoires, il vint, sans rien dire, installer, au moyen de quelques cordes, une espèce de chaise, entre les deux branches du grand étai, dont les extrémités inférieures venaient se fixer là, en avant du guindeau, sur lequel s’asseyaient